dimanche 21 février 2016

Pourquoi les Bakongo et les Ovimbundu sont-ils méprisés par les élites Kimbundu?


La raison fondamentale du mépris.

Le sujet que j’aborde dans le blog d’aujourd’hui est un thème très sensible, capable de susciter des tabous mal conçus, des analyses distordues, du point de vue de l'histoire, dans le contexte actuel de notre pays. Beaucoup d’intellectuels se sont penchés sur la question, mais très peu se sont hasardés à rendre publics leurs travaux parce qu’ils ont estimé que c’est politiquement incorrect. Mais politiquement incorrect pour qui ? Et depuis, le sujet est occulté. Moi je pense, et je ne suis pas le seul,  que nous devons en parler pour transcender le tabou. Je veux que, sans aucun complexe et sans arrière-pensée, nous parlions de la cohabitation, dans le respect des uns et des autres, entre les Bakongo, les Ovimbundu et les Kimbundu à l’intérieur d’un même espace, Luanda. Tous ceux qui ont vécu à Luanda ces quarante dernières années savent que la coexistence entre ces trois ethnies est conditionnée par des paramètres qui échappent au contrôle des citoyens lambda. Mais pour bien suivre le fil de mon raisonnement, je vous suggère de revenir à l’an 1975, début de l’histoire de l’Angola indépendant et du retour dans leur pays d’origine des Angolais, majoritairement Bakongo, exilés au Zaïre (RDC), à la demande du chef de l’État de l’époque. Une décision contestée par plusieurs dirigeants du parti au pouvoir. Des dirigeants qui, pour exprimer leur opposition à ce qu’ils considéraient comme un écart de leur président, mirent en marche une machine à faire passer, dans les réunions de quartiers, des messages de haine à l’endroit de tous ceux qui revenaient particulièrement du Zaïre. Ils ont construit des murs dans les esprits de nos concitoyens. La peur de partager avec les « Bakongo regressados » les retombées d’une indépendance dont ils s’octroyaient la paternité était leur leitmotiv. Grâce à ce procédé, durant des années, les Bakongo revenus du Zaïre ont été victimes de discrimination, brimades, insultes et exactions de la part des natifs de Luanda même si cela s'est quelque peu atténué. Un vrai écueil dans la coexistence qui était censée être fraternelle. Nous vivions tous, même ceux qui ont rejoint aujourd’hui les rangs du parti au pouvoir, dans cette situation sans trouver rien à dire; nous étions résignés, humiliés, étrangers dans notre propre pays. N’hésitez pas de me contredire si j’affabule.

Depuis, je me suis promis de trouver la vraie raison qui justifie le mépris dont nous sommes encore victimes, dans certains milieux,  jusqu'aujourd'hui. Quarante ans après, les dégâts psychologiques causés par ce dédain sont peut-être moins perceptibles, mais le mal-être est toujours là. Est-ce parce que nous venions d’un pays qui avait soutenu les adversaires du parti au pouvoir à Luanda? Est-ce parce que nous parlions la langue portugaise avec un accent français? Non, la raison est ailleurs. Pour chercher une réponse à ces interrogations, j’ai décidé de remonter le temps.

En compulsant des archives sur l’histoire de l’Angola, j’ai découvert que le mot Angola a sa racine dans le terme Ngola qui était un titre dynastique des souverains Kimbundu du Royaume de Ndongo et Matamba. Un titre qui est resté en usage jusqu’à la conquête du territoire Ngola par le pouvoir colonial portugais en 1626. Il est intéressant de noter que le Royaume de Ndongo a été longtemps vassal du Royaume de Kongo. C’est pendant le règne de Ngola Kiluanje Inene (1515-1556) qu’il  a accédé à son « indépendance ». Géographiquement, le Royaume de Ndongo était entouré au nord par le Royaume Kongo, à l’est par l’empire Lunda-Tchokwe, et au sud par le Royaume Bailundo. Pour se défendre, les Kamundongo avaient passé des alliances avec les royaumes qui les entouraient. Mais face à l’océan, d’où débarquaient les « conquistadores », les habitants du petit royaume, sous une pression psychologique, nourrissaient d’un complexe d’infériorité et assumaient une posture de flexibilité vis-à-vis du pouvoir colonial. C’est de cette manière qu’une coalition avec les blancs est rendue possible durant la guerre de colonisation et de pacification de l’Est et du Centre-Sud du territoire que nous appelons aujourd’hui Angola. Pendant toutes ces périodes, le territoire de Ndongo et Matamba est désigné « Terras de Ngola » ou « Terras de Angola ». Dans la lutte de colonisation qui s’en suit, tous les royaumes conquis par les blancs feront partie, avec le royaume de Ngola, de l’actuel territoire de l’ANGOLA (Berlin 1884/1885). Tout ceci révèle que le nom « Angola » a été imposé par le pouvoir colonial aux autres royaumes sans leur consentement (1)


Comme vous l’aurez certainement compris, la question à laquelle j’essaye de répondre n’est pas celle de l’origine du mot Angola. Ma principale préoccupation est le réflexe psychologique et matériel que ce nom « Angola » exerce sur les Angolais de différentes origines ethnoculturelles et géographiques. En plus, j’ai trouvé que l’origine de ce nom a un impact énorme sur la réalité du pays. Combien de fois n’entend-on pas dire que l’Angola n’est pas uniquement Luanda ? L’attention qu’ont toujours accordée les différents gouvernements à la ville de Luanda et ses environs soulève parfois quelques interrogations. Corrigez-moi si je me trompe. Pour nous tous, l’identité angolaise doit refléter le sentiment d’appartenir à une même nation. Mais dans les circonstances actuelles, cette réalité ne réunit pas les conditions psychologiques nécessaires à une vie en commun. Ce qui me conduit à affirmer, à la lueur de notre cohabitation, que dans cette nation en construction, un groupe ethnique (les Kamundongo) se sent pleinement à l’aise tandis que les autres se sentent marginalisés, exclus et méprisés. Le « vivre ensemble », dans ces conditions, produit des réflexes inattendus dans la conscience collective des autres peuples. Les élites « Kimbundu », par exemple, se conforment difficilement au concept d’égalité et d’attribution de la nationalité « angolaise » dérivée des « Terras de Angola »(royaume de Ndongo et Matamba) aux autres peuples qui ne sont pas de la même origine ethnoculturelle. C’est ainsi qu’apparaissent des signes de sentiment de supériorité. Eux sont de vrais Angolais, les autres sont des étrangers (zaïrenses) ou des Angolais de « segunda »(baïlundu). Dans la subconscience des élites kimbundu, le fait que l’Exécutif ait établi son pouvoir sur les cendres de l’ancien royaume de Ngola a des implications profondes dans la manière d’envisager le concept de l’État angolais. Il y a une école de pensée au sein du parti au pouvoir, le Mpla, qui estime que la réhabilitation et la restitution de ce royaume, aussi utopiques soient-elles, serviront d'axe central à la renaissance du nationalisme Kimbundu (1). Dans ce rêve, les créoles, personnes d’origine inconnue nées sur nos terres, essayent de tirer les marrons du feu. Selon eux, dans la société angolaise il n’y a qu’un groupe ethnique qui a le droit de gouverner le pays. Les autres, c'est-à-dire les Bakongo, les Ovimbundu et les autres, sont obligés à subir la loi du vainqueur. Vous connaissez des Bakongo ou Ovimbundu qui font partie du cercle du pouvoir en Angola ? Tous ceux qui étaient là ont été poliment écartés au nom de la réhabilitation d’une idée insensée. Le dernier, réhabilité aujourd'hui, je ne sais pas au nom de quel genre d'amitié, est un général de l’armée, qui a été exclu comme un malpropre et a pris quatre ans de prison. Ceux, des Bakongo, qui s’accrochent sont nommés à des fonctions subalternes dans leurs provinces d'origine. L’ancien griot du régime est un Mukongo nommé ambassadeur dans un trou perdu sur la côte occidentale de l'Afrique en remerciement à son ardeur à chanter les louanges du Mpla et de son régime.
C’est à ça que nous sommes réduits. Le saviez-vous ? 


 
 (1): Dr. Carlos Kandanda 

Sobamasoba, l'analyse politique qui informe. 

Eduardo M.Scotty