Depuis
plusieurs années, diverses études portant sur le développement socio-économique
de l’Angola ont été réalisées par des agences des Nations unies (PNUD, UNICEF, OMS,
OIT). Les résultats de ces enquêtes ont mis à nu les asymétries et
injustices sociales vécues dans le pays malgré les promesses
faites par les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis
quarante ans. Selon ces mêmes investigations, il s'avère que c'est l’ascendance du
parti au pouvoir sur les gouvernements successifs qui a conduit à une gouvernance
trop sectaire /doctrinaire. Tout se décide au sein du parti, rien en dehors. Résultat :
la population est anesthésiée avec des slogans sur la lutte des classes, pendant que
les dirigeants du parti s’embourgeoisent ; sur le bien-être, alors que la société se paupérise chaque jour ; sur la justice sociale, tandis que les
travailleurs gagnent des salaires de misère. Des illusionnistes qui prétendaient créer une société égalitaire sans
vraiment expliquer comment ils allaient faire pour y parvenir. Chaque année, oui chaque année, résignés et terrorisés à l’idée que
toute contestation pouvait conduire à une mort certaine, nous voyions fondre comme
neige au soleil des promesses intenables. Ils étaient face à la realpolitik. Les besoins de
la population sont tellement énormes et diversifiés qu’aucune des équipes gouvernementales
successives n’a jamais pu les satisfaire d’une manière ordonnée. Amateurisme, incompétence et/ou manque de volonté
politique?
Je
me pose cette question, et je ne suis certainement pas le seul à m’interroger, chaque
fois qu’à l’Assemblée nationale on vote le budget national. Comme beaucoup
d’autres angolais qui s’intéressent à la gestion du pays, je constate que d’importantes
sommes d’argent sont attribuées à l’armée, à la police, aux différents services
de sécurité et aux villes dans lesquelles le parti au pouvoir est solidement
implanté, tandis que de nombreuses agglomérations, éloignées de centres urbains
et situées dans des zones peu favorables au pouvoir, vivent dans une effrayante
pauvreté. Les discours qui, jadis, louaient les « camponeses », ont
cessé d’être d’actualité au moment du partage du gâteau. Un ami m’a dit que
c’était caractéristique aux régimes dictatoriaux. Au Zimbabwe, en Guinée équatoriale ou en Gambie, c’est pareil. Conséquence :
un énorme fossé se creuse entre l’arrière-pays et les villes. Dans le cas de l'Angola, c’est ce gouffre
qui, à mon sens, fait apparaître le vrai visage du parti au pouvoir : un parti
de citadins, de petits bourgeois et d’intellectuels. Un parti dirigé par des
personnes dont le mépris pour les petites gens du monde rural est un gros trait
de caractère. D’ailleurs, il est très rare de voir ces dirigeants-là, se
protégeant de la pauvreté comme d’une maladie incurable et se cachant derrière les murs de leurs
condominiums, s’enquérir du bien-être des paysans. N’y a-t-il pas lieu,
quelquefois, de se demander ce qu'ils savent vraiment de la vie des
populations de Macolo, de Luange, de Miconje ou de Camalamba ? Combien de
fois, hormis la période électorale, les députés de la majorité
présidentielle, les ministres du
gouvernement visitent-ils les habitants de Cameia, de Melunga, du Belize ou de
Pocolo ? Ces noms vous paraissent étranges, mais ce sont des localités à
l’intérieur de l’Angola.
« Si l'on avait su qu’avec l’indépendance nous
serions la proie d’une telle indifférence de la part de nos dirigeants, nous
aurions choisi de continuer à vivre sous l’administration coloniale portugaise »,
m’a confié Manuel Miguel Tambo lors de ma dernière visite à Fungu. Après une
telle complainte, et elle n'est pas la seule, force est d’admettre que la frustration se collectivise et
gagne du terrain au sein de la population. Dans tous les coins reculés de
l’Angola, les gens se plaignent de la manière dont ils sont traités par le
parti au pouvoir. « Nous sommes victimes de la confiance que nous avons placé en ces
gouvernements »,
disait António da Silva Neto, un fonctionnaire impayé depuis plus de 6 mois, au
cours d’une réunion du syndicat des enseignants à Negage. Ces voix, même
isolées, qui s’élèvent par-ci, par-là, renferment dans leur expression des
germes d’un profond mécontentement. Et le fait que les médias officiels (Tpa,Rna,Jornal
de Angola) ne relayent pas ces griefs, laisse penser que l’Angola profond ne
représente aucun intérêt pour le parti au pouvoir .
"L’abandon dont nous faisons l’objet de la
part de l’Etat est-il une stratégie du
pouvoir pour nous pousser à immigrer
vers les villes ? » s’interrogeait Maria Fatima, une
infirmière de Macocola dans la province d’Uíge. Une tactique très subtile,
dont la finalité serait d’emmener les populations de l’intérieur à immigrer vers
les grandes villes où elles viendraient gonfler les listes électorales. Quand
on sait qu’une ville comme Luanda représente, aux élections législatives, 45% des sièges à l’Assemblée nationale, on ne
peut ne pas s’interroger sur les intentions inavouées du pouvoir. D’ailleurs,
jusqu’à ce jour, personne dans la majorité présidentielle ne s’est offusqué de
la politique de dépeuplement en cours. C’est le seul mot que j’ai trouvé pour
qualifier cette politique, le dépeuplement. Sur la route qui relie Luanda au nord
du pays, ou Lukala à Dundo, les villages sont vidés de leurs populations.
D’autres ont complètement disparu. À leur place, rien que des cases et des
maisons détruites et abandonnées. «
Personne ne se soucie de nous. Regarde dans quel état sont nos villages. Pour
avoir du savon ou du sucre, nous devons parcourir des kilomètres. Et en cette
période des vaches maigres, nous nous demandons quel sera
notre sort », m’a confié Paulina Senga dans le véhicule qui nous
ramenait à Luanda.
Il
y a beaucoup à dire au sujet de cet Angola dont on ne parle jamais. Mais
aujourd’hui, j’ai choisi d’être moins prolifique. Je ne parlerai pas des dégâts
causés par la sécheresse qui tue dans la province de Cunene, ni de la fièvre
jaune qui décime Luanda et ses environs. 4.570
morts du 1er au 31 mars de cette année selon un rapport de l’Unita publié,
exceptionnellement, par le site gouvernemental « Angonoticias ». Si j’ajoute à cette série macabre les centaines
de personnes qui meurent sans passer par les hôpitaux, nous sommes en présence
d’une situation dramatique. C’est vrai que les temps sont difficiles, mais ce
n’est pas une raison pour abandonner ceux qui sont vraiment dans le besoin. Imaginez-vous
que sur la route de Mucaba, entre la ville de Uige et Damba, environ 270 Kms, je n’ai vu aucune pharmacie, aucune structure
médicale viable, aucune épicerie. Je vous laisse alors deviner comment
survivent les populations habitant dans cette région. Cet abandon ne date pas
d'aujourd'hui. Même pendant les vaches grasses la situation était pareille.
Alors maintenant que les vaches sont squelettiques, je vous laisse imaginer la suite. J’y suis allé à plusieurs fois et chaque fois j’ai
vu le même spectacle désolant. Si vous y êtes allé, vous aussi, dans l’arrière-
pays, et que vous n’avez pas vu ce que moi j’ai vu, dites-vous que nous ne
sommes pas allés dans le même pays. C’est un immense territoire qui est abandonné
par l’État et qui ne fait l'objet d'attention que lorsque s’approchent les élections.
Un territoire habité par des hommes et des femmes en haillons, marchant pieds nus
avec des cheveux pleins de poussière couleur d’argile, transpirant la misère. C’est
un spectacle triste et difficile à raconter. Toutefois, j’ai tenu à vous en
parler parce que cet abandon ressemble plus à une exclusion qu’à autre chose.
Parlez-en entre vous, car contrairement à d’autres, qui sont d’origine
inconnue, vous qui avez des villages en Angola vous avez intérêt à vous soucier
du sort de vos vieux parents. Il faut que vous en parliez. N’oubliez pas : le silence ne sauve personne.
« Soba
ma soba », l’analyse politique qui informe.
Eduardo
Scotty Makiese.