Décidément, la période précédant les
fêtes de Noël et de Nouvel An inspire beaucoup mes oncles paternels. Après
celui qui m’a briefé sur Zé Kitoumba, c’est au tour du cadet, le jour suivant,
à m’expliquer combien les idéologies politiques rapportées de l’étranger
peuvent causer du tort aux populations des pays fraîchement libérés du joug
colonial. Leur passage d’un régime colonial assujettissant à un autre qui lui
ressemble par ses méthodes, les plonge inévitablement dans une longue et
difficile recherche d’identité politique et économique. Mon oncle qui est un
bon observateur de tout ce qui se passe autour de lui tient à illustrer son
propos en me racontant l’histoire de Bangoula, le pays où il a passé toute sa
jeunesse et qui a accédé à l’indépendance dans des conditions dramatiques. Une
guerre fratricide a salué l’accession de ce pays à la liberté ; une guerre
qui a duré plusieurs années et fait des milliers de victimes. Dans ces conditions, durant les premières
années d’indépendance de la nouvelle république, les ressortissants de ce pays n’ont
pas pu jouir des bénéfices de l’indépendance. Le départ précipité des colons
les avait plongés dans un abîme d’incertitudes. Le nouveau pouvoir, trop
susceptible, avait imposé un contrôle rigoureux à la circulation des hommes et
des biens. Le rationnement était devenu le nouveau mode de vie dans le pays.
C’est dans ce climat d’inconstance que le premier président de cette nouvelle République
populaire décède d’une mort consternante. L’espoir d’un changement durable qui
commençait à poindre à l’horizon s’était brisé comme une vague sur les rochers
au bord de l’océan. Avec la nomination d’un nouveau Chef de l’État, la
population, sur toute l’étendue du territoire, a vu apparaitre dans sa vie de
chaque jour une réalité nouvelle : celle d’un pays dans lequel les uns
bénéficient de tout et les autres, de rien. Finalement, les promesses contenues
dans la propagande qui a précédé la libération du pays n’ont été que des
balivernes. Et au fil des années, le mode de vie imposé par l’État a fini par
mettre un terme aux illusions postcoloniales de ce peuple désabusé. Meurtris dans
l’âme, les Bangoulais, résignés et incrédules, ont assisté à la confiscation de
toutes leurs libertés, même les plus élémentaires. Fini le temps d’acheter, comme à l’époque
coloniale, n’importe quoi, n’importe quand. Toute acquisition de biens
industriels ou alimentaires était désormais conditionnée par la possession d’une
carte spéciale dont seuls les travailleurs étaient attributaires. «Qui ne
travaille pas, ne mange pas ». C’était le communisme dans sa version bangoulaise.
Un système social, politique et économique fondé sur la propriété collective à l’intérieur
duquel l’égalité devait être le principe fondateur. L’égalité, la lutte des
classes. Des principes qui sous d’autres cieux augurent dans les meilleurs de
cas d’une société dans laquelle les bénéfices de l’État sont redistribués
équitablement. Mais était-ce le cas dans la République populaire de
Bangoula? Visiblement, non ! La manière de gérer le pays ne correspondait
pas aux exigences du peuple qui s’était
aperçu très tôt des injustices flagrantes dont il était victime. Comme dans
tous les pays communistes à l’époque, les cadres supérieurs et dirigeants du parti
au pouvoir vivaient dans l’opulence tandis que le reste de la population se
contentait des miettes. Plusieurs années après, c’est toujours pareil à
Bangoula. Chaque jour, le fossé qui sépare les riches des pauvres est de plus
en plus profond.
Ce résumé de l’histoire de la
République de Bangoula ressemble à s’y méprendre à l’histoire de l’Angola. Marxiste
à son accession à l’indépendance, social-démocrate dans les années 90, l’Angola
est aujourd’hui plongé dans un libéralisme sauvage qui ne dit pas son nom. Le
passage du marxisme au libéralisme n’a pas été, me semble-t-il, suffisamment
pensé. Car l’économie planifiée liée à la doctrine marxiste dont le régime
s’est affublé durant plusieurs années a pris en otage tout le système
économique angolais. Aujourd’hui, c’est dans un désordre dévastateur que
l’économie de marché se fraye un chemin dans le système communiste moribond
expérimenté par le Mpla dans le pays. Une nouvelle économie dont la complexité
a malheureusement ouvert la porte à la culture de la corruption, du népotisme
et de l’impunité. Ne sachant pas dominer les mécanismes des phénomènes de
production, de circulation, de répartition et de consommation des richesses,
base fondamentale de l’économie de marché, le Mpla a plongé le pays dans un
profond désordre des finances publiques. La situation difficile que connait
l’Angola aujourd’hui n’est pas seulement liée à la baisse du prix de pétrole,
mais elle est le résultat d’une méconnaissance des règles qui régissent
l’économie de marché. Dans le souci de bien faire, il est plusieurs fois arrivé
aux dirigeants angolais de mélanger les principes de l’économie planifiée, à
laquelle ils sont intimement liés, à ceux de l’économie de marché. Dans cet apprentissage du libéralisme, à
chaque tentative ils se sont pris les pieds dans le tapis. Pour preuve, la
conversion des UEE (Unidade economica estatal) en entreprises privées fut une
catastrophe. Et le résultat est celui que nous vivons actuellement dans le
pays.
Mon oncle n’a pas l’âme d’un
opposant. Lorsqu’il me raconte cette histoire, il ne cherche pas à faire de moi
un opposant. Et moi quand je vous la raconte, je ne cherche pas à faire de vous
des opposants. Je veux tout simplement que vous ne croupissiez pas dans l’ignorance.
Car, qui ne connait pas sa vraie histoire, la vraie histoire de son pays, est
comme un être sans repères. Pensez-y !
Sobamasoba, l’analyse politique
qui informe.
Eduardo M. Scotty.