dimanche 29 septembre 2019

Joâo Lourenço, deux ans après : les Angolais entre espoir et deception.


En marge de la 74° assemblée générale de l’ONU qui s’est tenue à New York, le président angolais, Joâo Lourenço, au cours d’une interview accordée à la presse angolaise a déclaré au sujet de la situation socioéconomique de l’Angola après deux ans à la tête de l’État : « Ce qui n’a pas été fait en 44 ans, personne ne peut espérer que cela se fasse en deux ans ». Par cette déclaration, Joâo Lourenço reconnait implicitement l’échec des politiques engagées par son parti, le Mpla, durant les 44 dernières années au pouvoir en Angola. Cet aveu d’échec témoigne de l’incapacité ou de l’incompétence de ceux qui se sont emparés illégitimement du pouvoir en 1975. Une incompétence doublée d’une cupidité sans commune mesure qui a conduit à la formation d’une classe sociale entièrement constituée des hommes et des femmes corrompus, voleurs de deniers publics. Les MARIMBONDOS. Ils sont tous du Mpla. Ce parti qui n’a pas su, malgré le boom pétrolier, rendre effectif le projet de société dont il est porteur depuis l’accession du pays à l’indépendance.

Devenu Chef de l’État en 1977, Joâo Lourenço, est-il en mesure de renverser la tendance ? L’opinion publique est très sceptique à ce sujet. C’est vrai qu’avec son arrivée au pouvoir il y a plus de liberté d’expression. C’est vrai aussi que la peur de penser, de parler et même de crier a pris fin. Mais cela suffit-il pour songer à un vrai changement dans le pays ? Lorsque nous savons que pendant les 44 ans de pouvoir du Mpla, la peur a été une arme pour faire taire la population, le doute subsiste. Surtout quand la population sait que c’est dans ce climat de peur que le pouvoir « eduardiste » ait su cacher son incompétence en réduisant l’importance de la valeur travail ; un but pour la dignité du citoyen angolais. L’honnêteté est vue d’un très mauvais œil. L’activisme partisan, la corruption, le népotisme sont devenus des outils de progrès pour les individus en Angola. Toute notion de comportement éthique est abandonnée au profit de l’enrichissement illicite. Dans la société angolaise sont apparues au cours de ce long mandat deux idéologies dominantes : parasiter et piller. C’est dans ce climat délétère que Joâo Lourenço accède au pouvoir le 26 septembre 1977. Le peuple fatigué des méthodes oppressives de Dos Santos n’attend vraiment rien de nouveau venant de cet ancien ministre de la Défense de José Eduardo dos Santos. Pour la population angolaise, l’alternance pourtant souhaitée est une mascarade. C’est blanc bonnet et bonnet blanc entendait-on dire dans les rues de Luanda et ailleurs. Aux yeux des Angolais, JLo était un président symbolique. Seulement, avec le temps beaucoup d’entre eux ont commencé à changer d’avis. Ironiquement, les pouvoirs absolus attribués au président de la République par Dos Santos pendant son règne ont permis à Joâo Lourenço d’avoir une large marge de manœuvre pour annuler certains décrets de son prédécesseur qui maintenaient inamovibles des chefs militaires et ceux de la police nationale à leurs postes encore pendant cinq ans.           

J’ai évoqué l'incompétence de l'exécutif, en particulier dans le domaine économique, et l'absence de vision claire du président sur sa gouvernance. Que veut João Lourenço et où va-t-il? La vérité est qu’il ya trop de zigzags qui nous empêchent de comprendre sans équivoque l’orientation du président: je ne sais pas s’il navigue à vue ou si le rythme de l’improvisation qu’il impose au pays est bon.  La gouvernance de Jose Eduardo dos Santos était, à mon avis, plus lisible, et se résumait en trois points : premièrement, l’utilisation du pouvoir pour l’enrichissement illicite individuel. Deuxièmement, le maintien de ce pouvoir, son renforcement et sa légitimation internationale, grâce aux cadeaux financiers distribués aux facilitateurs de la communauté internationale. Troisièmement, l'exclusion de la société civile par la répression et l'aliénation pour qu’elle n’ose pas penser à un changement de régime, et l’utilisation du fruit du pillage comme d’une sorte de loterie. Seuls ceux qui sont au pouvoir ont le droit de gagner.

Après deux ans au pouvoir, l’obscurité à l’horizon est toujours présente. La crise économique que vit le pays ne cesse de préoccuper la population. Le président Joâo Lourenço se démène comme un diable dans un bénitier, rien n’y fait. Il parcourt, sans succès,  le monde à la recherche des investisseurs pour tirer le pays du gouffre dans lequel son prédécesseur l’a plongé. L’Angola est trop endetté. Les lignes de crédit chinoises ont fait plus de mal que de bien aux Angolais. Si on associe à ces lignes de crédit l’incompétence et la médiocrité de ceux qui entourent le président, le résultat est facile à deviner. Or, si nous considérons que la compétence est l’élément clé pour assurer la prospérité d’un pays, il va de soi que le président doit s’entourer des cadres qu’il faut aux postes qu’il faut. Ce raisonnement fait appel à des réformes douloureuses, mais indispensables.

Deux ans, est-ce suffisant pour porter un jugement ?

Sobamasoba, l’analyse politique qui informe.

Eduardo M.Scotty.

mercredi 11 septembre 2019

José Eduardo dos Santos, finira-t-il un jour devant un tribunal?


Les Angolais vivent actuellement une période quelque peu mouvementée dans la mise en place d’un État de droit dans leur pays. L’application des lois dans toute sa rigueur est un préalable dans la procédure qui conduit à une société égalitaire devant la Justice. Une société dans laquelle personne n’est au-dessus des lois. Habitués à subir la loi, les Angolais sont émerveillés (le mot n’est pas assez fort) de constater que ceux qui se croyaient intouchables hier sont des justiciables comme tous les autres citoyens de ce pays. Même si elle reste sélective, la justice en Angola marque des points. Tous ceux qui n’ont pas la conscience tranquille se demandent à quel moment l’épée de Damoclès s’abattra sur eux. Au début du mois d’août de cette année, la chambre criminelle de la Cour suprême a engagé des poursuites pénales sur demande du Procureur général (MP) contre Manuel Rabelais, ancien homme fort de José Eduardo dos Santos, dans les domaines de la communication sociale et de la publicité - et Hilário Alemão dos Santos - assistant administratif de GRECIMA, ancien organe de coordination de la communication de Dos Santos. Le plus important dans cette incrimination n’est pas son contenu, mais le fait que le Ministère public demande l’ouverture d’une instruction contradictoire, essentiellement pour entendre l’ex-président dans le contexte d’une procédure pénale, afin de confirmer que Manuel Rabelais ait ou non agi sur ordre du Président de la République, comme l'affirme sa défense. Le Ministère public est le pouvoir judiciaire dirigé par le procureur général de la République (PGR). Par conséquent, le Ministère public suppose clairement qu'il a l'intention de faire comparaitre l'ancien président de la République devant un tribunal et de comprendre son rôle dans les crimes reprochés à Rabelais et Hilário Santos: détournement de fonds, violation des règles d'exécution du budget et du plan, attribution indue d'avantages et blanchiment d'argent. Comme les observateurs avertis l’affirment, Dos Santos ne bénéficie d’aucune immunité à ce stade de la procédure. Il peut être convoqué, entendu en tant que témoin et éventuellement, le cas échéant, inculpé. Ni le statut des anciens présidents de la République (loi n ° 16/17 du 17 août) ni le règlement sur le même sujet (décret présidentiel n ° 223717 du 22 septembre) ne contiennent de règles régissant l'audition des anciens Présidents. D'autre part, le statut du député (loi n ° 17/12 du 16 mai) ne se prononce pas non plus sur le sujet, en transcrivant l'article constitutionnel (article 151 de la Constitution) sur les immunités parlementaires. Par conséquent, afin de comprendre les procédures à appliquer à Dos Santos pour définir son rôle de témoin dans une affaire pénale, il y a lieu, pour une meilleure application, de mettre ensemble la Constitution, la législation sur les anciens présidents de la République, le Statut des députés et le Code de procédure pénale. En bref, la seule question à propos de l’impératif pour JES de faire une déclaration dans une procédure pénale est simplement de savoir s’il devrait être obligé de comparaître devant un tribunal ou d’être entendu à la maison. Pour le reste, il est clair qu'il doit être entendu et a le devoir de collaborer avec la justice. Il reste maintenant à décrire brièvement l’accusation portée contre Manuel Rabelais et Hilário Santos. L’accusation allègue que Rabelais, dans le cadre de ses fonctions de directeur de GRECIMA, a notamment effectué en 2016 et 2017 diverses opérations bancaires au moyen desquelles il a demandé à la Banque Nationale d’Angola d’acquérir des devises pour un montant total de 110 millions de dollars. Ces devises, une fois obtenues, ont permis à Rabelais, avec l’aide de son complice  Hilario Santos, d’ouvrir une agence de change exclusivement tournée en faveur des entreprises de ses amis et des particuliers de son entourage immédiat. En résumé, Rabelais a obtenu des devises de la Banque Nationale d’Angola en invoquant des affaires officielles puis les vendait au prix fort de manière rentable à des particuliers. Il retirait également des comptes officiels de l'organisme public (GRECIMA) d’importantes sommes d’argent qu’il plaçait sur ses comptes privés. Dans ce contexte, plusieurs millions d'euros ont été déplacés. Et beaucoup de ces millions d’euros se sont retrouvés dans des comptes offshore de Rabelais. C’est là que l’ex-président Dos Santos entre en scène. Lors de son interrogatoire, Rabelais a affirmé que plusieurs de ces millions de dollars détournés l’ont été sur ordre de José Eduardo Dos Santos pour réaliser des opérations secrètes au bénéfice de l’État angolais. Et Rabelais d’ajouter : toutes les opérations financières réalisées l’ont été avec la bénédiction de l’ancien président. C'était un moyen de renforcer le financement du bureau qu'il dirigeait. Pour le jugement, attendons maintenant que la justice fasse son travail.  Sur les opérations secrètes ordonnées par JES et les ordres de commettre des actes qui peuvent être qualifiés de crimes, nous espérons que l'ancien président de la République se prononcera. Puisque selon la Cour constitutionnelle de l’Angola, seul le Chef de l’État est responsable des actes posés par le gouvernement. Les ministres et autres responsables ne peuvent pas être interpellés par les députés au parlement. Maintenant qu’il n’est plus aux affaires, c’est le moment de nous expliquer.

Il y a un temps pour tout.

Sobamasoba, l’analyse politique qui informe.

Eduardo M. Scotty.

Source ; makaangola.

 

mercredi 4 septembre 2019

Les Bakongo, très peu visibles dans les sphères du pouvoir. Où sont-ils passés?


Le débat sur l’absence des Bakongo à des postes politiques importants, et dans les entreprises de l’État, en Angola a refait surface à Luanda et dans d’autres villes du pays après la sortie d’une œuvre musicale interprétée par des artistes Bakongo et qui connait un franc succès sur le net. Très peu nombreux, très peu visibles, les Bakongo font face à des barrières persistantes pour accéder à des postes de responsabilité dans les sphères du pouvoir en Angola. Pourtant, leur efficacité dans divers domaines de la vie sociale et politique du pays ne fait pas l’ombre d’aucun doute. Il y a un an, dans une de mes publications, j’avais abordé ce sujet en expliquant les raisons pour lesquelles les Bakongo sont méprisés par leurs frères Kamundongo du Mpla. L’arrivée de Joâo Lourenço au pouvoir n’ayant apporté aucun changement à la situation, je me dis que l’absence des Bakongo au « sommet » de l’État est peut-être due à la perplexité de leur histoire qui se mêle à celle des autres peuples qu’on appelle Congolais, ce qui parfois prête à confusion. On retrouve donc des Bakongo, à cause de l’éclatement du Royaume Kongo, au Gabon, au Congo-Brazza, en RDCongo et en Angola. D’ailleurs, en 1960, les Bakongo jouent un rôle très important dans l’accession du Congo Belge à l’indépendance. Le premier chef de l’État de la RDCongo est un Nkongo. Jusqu’en 1965, les Bakongo sont présents à tous les échelons du pouvoir. C’est avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir qu’ils commencent à disparaitre de la sphère du pouvoir au profit des Nbgandi et plus tard des cadres originaires de l’est du pays. Au Congo-Brazza et au Gabon, c’est pareil. Les Bakongo sont emportés par des vents contraires à leur destin.

Présents dans trois grandes provinces du nord de l’Angola (ancien Kongo-Portugais/ Cabinda, Uíge, Zaïre) les Bakongo qui étaient, politiquement, organisés au sein du FNLA – Front national de la libération de l’Angola de Holden Roberto- sont aujourd’hui orphelins dans un pays dominé entièrement par les Kamundongo du Mpla. À l’Assemblée nationale, il n’y a pas plus de cinq députés Bakongo. Combien font partie de l’élite angolaise ? On peut les compter sur les doigts d’une seule main. Pourtant, il n’est pas un secret que culturellement le Nkongo est un être doté d’une intelligence au-dessus de la moyenne et ayant un sens d’organisation très élevé. Sa mise à l’écart est un fait politique qui porte préjudice à l’Angola. Quel gâchis pour le pays qui ne profite pas de toute la matière grise de ses enfants. Ne dit-on pas que la vraie richesse d’un pays, c’est la matière grise de sa population ?

Les Bakongo sont un peuple très attaché à ses traditions et à sa culture. Ils constituent une population très dynamique qui sait allier respect des traditions et goût de la modernité. Leur conception et leur lecture de la politique du présent sont systématiquement nourries de l’histoire du passé d’où leur attachement au Royaume Kongo. Ce passé historique est assumé avec fierté par les Bakongo qui considèrent d’ailleurs qu’il est à la source de la « haine » dont ils sont victimes de la part de leurs concitoyens de Luanda et environs. Fiers de leur « africanité » les Bakongo sont victimes des Luandais « acculturés » qui sont sans passé historique et les accusent de tribalisme pour voir en eux des rivaux dans la direction du pays comme tous ceux pouvant remettre en cause leur hégémonie dans l’appareil économique, politique et administratif de l’Angola. Les créoles, ces hommes et femmes très présents dans les rouages de l’administration angolaise, s’évertuent à barrer aux Bakongo la route de la promotion sociale. Ils les redoutent pour leur suprématie tant numérique que qualitative en cadres. Aujourd’hui, l’opinion publique observe que les Mbundu sont au pouvoir, les Ovimbundu veulent le conquérir et les Bakongo sont des instruments entre les mains des uns et des autres. Depuis le retour d’exil de beaucoup d’entre eux, ce n’est pas une élite ethnique qu’ils affrontent, mais bien une élite urbaine diversifiée et engendrée par le vieux système colonial portugais qui s’éternise. Toutefois, il faut reconnaitre qu’il n’a pas été possible d’imposer une présence accrue des cadres Bakongo formés pendant l’exil pour diverses raisons : la langue portugaise, langue officielle de l’Angola, est un facteur important de blocage et, dans d’autres secteurs sensibles, un préjugé sur les diplômes obtenus en RDCongo. C’est du reste ce blocage qui alimente le sentiment unanime d’exclusion et de discrimination des Bakongo. Beaucoup d’entre eux ont quitté l’Angola et vivent à l’étranger à cause de cela. Les Bakongo sont très frustrés. La question de la mauvaise redistribution sociale des richesses nationales pèse de tout son poids dans la frustration des cadres du Nord, qu’ils soient Bakongo ou Lunda-tchokue.

Les Bakongo seront-ils des éternels exclus ?                 
Sobamasoba, l'analyse politique qui informe.
Eduardo M. SCOTTY.