Ces dernières années, l’étranger
qui débarque pour la première fois sur le sol africain, quelles que soient les
raisons de son voyage, est surpris par
l’état de délabrement de nos villes, la pauvreté de la population et…la
présence massive des Chinois dans nos rues et sur les nombreux chantiers qui
fleurissent sur tout le continent. Si le laisser-aller et la mauvaise gestion
de la chose publique expliquent le délabrement des villes et la pauvreté de nos
populations, la présence chinoise reste vrai énigme pour l’étranger. L’Afrique
serait-elle en train de vivre une autre « colonisation » ?
À première vue, non. Mais à y
regarder de près, ça y ressemble beaucoup. Et aussi incroyable que cela puisse
paraître, cette présence n’est pas le fait d’un pur hasard. Elle est le
résultat d’un long travail de réflexion mené par des responsables politiques
chinois pendant plusieurs années, sous la direction de Mao Zedong et, plus
tard, de Deng Xiaoping. Rappelez-vous. À l’origine de cette réflexion, un
rapport statistique de 1954 qui estimait la population chinoise à un (1)
milliard d’habitants à l’horizon 2000. Ce rapport alarmant, mais très sérieux a
fait l’objet de plusieurs analyses de la part des responsables chinois de
l’époque. Des mesures très originales (contraception obligatoire et
légalisation de l’avortement) (*) sont prises pour ralentir une démographie
trop galopante. La Chine ne pouvait pas se permettre d’abriter un (1) milliard
d’habitants à l’étroit sur son sol avec la menace de la famine qui planait sur
le pays. Les Chinois avaient donc un grave problème à résoudre : leur
espace vital. Nous sommes pendant les années 50 et un vent de décolonisation souffle
sur l’Afrique. C’est une planche de salut pour la Chine. L’Afrique est un
continent sous-peuplé qui dispose d’assez d’espace pouvant accueillir un grand
nombre d’immigrés. C’est aussi un marché de plusieurs millions d’habitants qui
raffolent des produits chinois. Leur succès dans les foires commerciales
africaines, au fil des années, est incontestable. Cette période de
décolonisation, pendant laquelle les États africains s’efforcent de trouver de
nouveaux repères, est donc un moment favorable. Et la tenue d’une conférence afro-asiatique
à Bandung, en Indonésie (du 18 au 24 avril 1955) offre une tribune idéale à
Chou-en-lai, alors premier ministre Chinois, pour convaincre les dirigeants
africains de « bonnes intentions » de la Chine à l’égard de l’Afrique
et apaiser, par la même occasion, les craintes des délégations anticommunistes
présentes à la conférence par un discours modéré empreint d’un esprit de
conciliation. Une caresse dans le sens du poil qui aboutit à la signature de
quelques accords de coopération avec une quinzaine de pays africains. La Chine
ne pouvait pas espérer mieux. Ces premières années de coopération
sino-africaine se concluent avec des résultats qui placent la Chine au rang de
meilleur partenaire dans la lutte pour le développement de l’Afrique.
D’importants crédits sans intérêt, cage de l’amitié chinoise, sont distribués
aux pays africains. La Tanzanie et la Zambie, deux anciennes colonies
anglaises, sont au premier rang. Elles bénéficient d’un prêt sans intérêt qui
leur permet de construire, avec l’aide des milliers de Chinois, la voie ferrée
Lusaka-Dar-es-salam, la Tanzam. Cette œuvre gigantesque impressionne tout le
continent. Cependant, quelques dirigeants africains, très éveillés, comme
l’Ivoirien Houphouët Boigny, le Camerounais Hamadou Hahidjo ou le Malgache
Philippe Tsirana, se montrent très sceptiques et se posent beaucoup de
questions sur les méthodes chinoises d’aide au développement. À la conférence
de l’OCAM (Organisation commune africaine et malgache) tenue à Abidjan, ils
expriment des craintes de voir un jour les Chinois considérer l’Afrique comme
une terre de colonisation. Pour eux, derrière la main généreuse chinoise se
cache un projet ambitieux. « Les Chinois ont existé en tant que peuple, en
tant que civilisation, bien avant l’Europe, et ont gardé une nostalgie du
passé. Et quand ils auront acquis le prestige de peuple européen, lorsqu’ils
auront la faculté de disposer d’engins nucléaires, ils ne voudront rester à la
remorque d’aucun autre peuple » dixit Houphouët Boigny. Dès lors, la
pénétration chinoise est perçue, déjà à cette époque-là, par une partie de
l’intelligentsia africaine comme un danger pour l’Afrique.
Du Sénégal à la Tanzanie, de l’Angola à l'Algérie, il n’est pas étonnant aujourd’hui de rencontrer des travailleurs
chinois à tous les coins de rues. Pourtant, il y a quelques années, leur présence
était plus discrète. Maintenant, ils font partie du paysage africain. Ils sont
partout et ils font tout. Ils arrivent pour construire des autoroutes, des
bâtiments administratifs, des logements ou des stades, et contre toute attente,
à la fin des travaux, ils se fixent et changent d’activité professionnelle. Une
conversion qui provoque de l’agacement dans les milieux syndicaux africains.
Leur implication directe dans les travaux ne favorise pas la résorption du
chômage. Dans certains cercles d’intellectuels, la réaction est plus mesurée.
La pénétration chinoise est qualifiée de préoccupante, mais c’est surtout
autour de l’idée que les accords de coopération sino-africaine profitent plus
aux Chinois que s’établit un consensus. Nos politiciens sont-ils pris au piège
du « prêt sans intérêt » ? Qu’est-ce que les Chinois nous
offrent-ils hormis les lignes de crédit? Rien ou presque rien. Aucun
investissement dans la formation professionnelle ni dans l’enseignement
supérieur ou la recherche scientifique. Tout va dans les bâtiments et les
infrastructures routières. Ils ne sont pas nombreux ceux qui avaient compris la
subtilité chinoise. Aujourd’hui, peu sont les États africains capables de
résister à la générosité chinoise.
Cet article dont l’objet est
encore d’actualité, je l’ai écrit et publié en 2007 sur un site d’informations
de Brazzaville (congoplusinfo). Je le publie de nouveau pour vous donner
l’occasion de débattre du sujet. Ne nous voilons pas la face, la présence
chinoise en Afrique est un vrai problème.
Le débat est ouvert.
Sobamasoba, l’analyse politique
qui informe.
Eduardo M. Scotty.