L’année qui s’achève a été
marquée par plusieurs rebondissements et événements malheureux qui ont terni
l’image de notre pays et installé le doute dans les esprits quant à la
crédibilité du régime en place à Luanda. De ces péripéties, j’aimerai rappeler ici le meurtre de Cassule et Kamulingue, deux
protestataires abattus par les forces de l’ordre ; l’assassinat de Ganga, membre
d’un parti d’opposition tué par les éléments de la garde présidentielle
(Ugp) ; les massacres des adeptes de l’Eglise de « Luz do
mundo » du pasteur Kalupeteka au Mont de Sumi ; la condamnation de
l’activiste Mavungu au Cabinda ; la baisse du prix du baril de
pétrole ; la fermeture des entreprises, les unes après les autres, dans
l’impossibilité de s’approvisionner par manque de liquidités ; l’explosion
du chômage ; l’accroissement de l’insécurité dans les villes ; l’incarcération
des 15 jeunes contestataires, le 20 juin 2015 et enfin l’effondrement, dans
l’opinion nationale et internationale, de l’image du régime. Une image construite
à coup des millions de dollars. À tout ceci, il faut ajouter la disparition, souvent
inexpliquée, des citoyens lambda qui, pour un écart de langage commis dans la
journée, s’évaporent dans la nature à la tombée de la nuit parce qu’ils avaient
osé proférer des critiques contre le pouvoir.
Dans ce tableau noir de la vie
actuelle de notre pays, aujourd’hui je vais aborder avec vous l’affaire des
15+2 « revus », membres du Mouvement révolutionnaire de jeunes à
Luanda. Ils sont accusés de préparer un coup d’État.
Qui sont ces activistes accusés
de vouloir déstabiliser les institutions du pays et « détrôner » le
Chef de l’exécutif ? Parce que c’est de cela que le Procureur de la
république les accuse, sans présomption d’innocence. Ces jeunes gens dont tout
le monde parle dans le pays sont, tous, des angolais, et à une ou deux exceptions près, ils sont nés
sous le règne de l’actuel locataire de la « Cidade Alta », c’est à
dire sous le régime du parti unique (1975-1992). Enfants, ils ont été, comme
d’autres bambins de leur âge, de facto, membres de l’organisation des pionniers
du parti et plus tard, ils ont intégré les rangs de sa jeunesse. Leurs parents
ont occupé des fonctions dans le parti ou dans la fonction publique. Ce qui
laisse entendre qu’ils ont grandi et étudié, jusqu’à l’Université, avec
beaucoup de camarades dont les parents font partie de la Nomenklatura. Ceci est
pour dire que les 15+2 ne sont pas, comme on veut nous le faire croire, le
résultat d’un produit importé, mais c’est plutôt le fruit d’une substance au
goût du terroir. Ils ont grandi et vécu
sous un régime politique dont ils ont su déceler les défauts et les
insuffisances. C’est exactement comme dans les années 1960 quand une certaine
jeunesse avait pris le chemin de Léopoldville pour revenir plus tard libérer le
pays des injustices et des humiliations dont nous étions victimes. Ne dit-on
pas que l’histoire se répète? Ils étaient partis, révoltés, parce que les
colons portugais, en leur temps, ne répondaient à leurs exigences que par des intimidations, des arrestations, des tortures, des emprisonnements.
Ces jeunes emprisonnés à Luanda sont eux aussi à la recherche des réponses à
leurs questions. Malheureusement, en face d’eux, c’est la répression, la
terreur. Mais face à la tempête de l’histoire…..Et si l’histoire se répétait
vraiment ?
Durant trois semaines, nous avons assisté, à
travers les médias, à un procès qui restera gravé dans les annales de la
justice angolaise. Plus qu’une farce, c’est à une pièce de théâtre que nous
avons été conviée. Tout était fait pour la condamnation des accusés. Mais aussi
incroyable que cela puisse paraitre, la surdité du début a fait finalement place à une certaine flexibilité. La pression
de l’opinion a été finalement bénéfique aux « revus ». Alors pour ne
pas perdre la face et sauver le peu de crédibilité qui reste, la
majorité présidentielle a voté une loi qui a pris effet le 18/12/2015 et qui institutionnalise
la prison à domicile. Une loi bancale
dont l’application présente beaucoup d’imperfections. Mais, que pouvons-nous faire? On fait avec...
Que veulent exactement ces jeunes
« revus » ? Rien
d’extraordinaire. Juste une démocratie qui fonctionne, et un État de droit. Est-ce trop demander?
Je ne voudrai pas entrer ici dans
les détails qui ont conduit à leur arrestation et parler du livre de Gene SHARP qui est incriminé et
que les envoyés du régime, en tournées spéciales en Europe, ne cessent de qualifier de
subversif. Il faut pourtant retenir une chose : quand en mars 2011 le mouvement
révolutionnaire a vu le jour à Luanda, la traduction en portugais ce livre n’était pas encore publié. Donc, à mon humble avis, c’est
ailleurs qu’il faut chercher les raisons qui ont poussé ces jeunes à se
radicaliser vis-à-vis du pouvoir angolais. Car, qu’on le veuille ou non, moi je
dirai plutôt que les printemps arabes ont beaucoup influencé l’émergence de ce
groupe de jeunes. Ces printemps sont
comme une source d’inspiration pour les peuples opprimés du sud. Si jusqu’ici la mayonnaise n’a pas pris, c’est
parce dans notre pays il n’y a pas encore de conscience sociale collective pour
réclamer un droit commun.
Maintenant que la partie pénale
de ce procès est finie, quelle leçon
pouvons-nous tirer de cette mascarade en attendant le 11/01/2016, début de
la partie politique du procès?
Devant une situation de cette
nature, il y a deux options qui s’offrent à nous : le dialogue ou la
violence. Dans les conditions actuelles, un dialogue est-il possible ?
Sincèrement, non. Un dialogue apaisé n’est pas possible avec un pouvoir/régime
dont tout laisse à croire que c’est une dictature. Et la violence ? La
violence non plus n’a pas sa place dans un pays traumatisé par 27 ans de
guerre. La seule voie qui nous reste est celle de la pression par des
manifestions pacifiques. Mais là aussi, même si la Constitution autorise les
manifestations, la réalité dans le pays est toute autre. C’est donc l’impasse.
Allons-nous continuer à assister à l’arrestation des gens et à leur transfert
devant les tribunaux chaque fois qu’ils penseront différemment? Et vous qui me
lisez, avez-vous une idée de comment sortir de cet impasse ?
Le débat est ouvert.
Eduardo Scotty Makiese.