jeudi 4 janvier 2018

Qui veut la peau de Joâo Lourenço? Au bord de l'implosion, le Mpla sous haute pression.


Il y a exactement cent jours depuis que le président Joâo Lourenço s’est installé au palais présidentiel à Luanda et occupe les fonctions de Chef de l’État en Angola. Cent jours pendant lesquels les Angolais ont eu le loisir d’observer et d’analyser les actions du nouveau gouvernement. Dans les démocraties occidentales, ces 100 jours représentent la période de grâce que les opinions publiques nationale et internationale accordent au nouveau président de la République avant de porter leur jugement sur l’orientation politique qu’il insuffle au pays. C’est aussi après ces 100 jours que l’on mesure la cote de popularité du nouvel élu. Les mesures prises au cours de cette période donnent généralement une image de la direction que prend le pays sous la direction du nouvel exécutif.  Du point de vu de la moralisation de la vie politique en Angola, tous les observateurs ont identifié dans les actes posés par Joâo Lourenço une ferme volonté de rompre avec les méthodes de l’ancien président. Sa lutte contre l’impunité, la corruption et le laisser-aller trouve un écho favorable au sein de la population. C’est au niveau de son parti politique, le Mpla, qu’apparaissent des signes d’agacement. Habitués à se servir au lieu de servir, les dirigeants du Mpla trouvent en Joâo Lourenço un perturbateur inattendu. Lors de la cérémonie des vœux pour la fin de l’année 2017, le vice-président Bornito de Souza, rendu inexistant par la forte présence de Joâo Lourenço, dans un discours qui a surpris tout le monde, a fait l’apologie du bicéphalisme au somment de l’État. Il a, contre toute attente et en termes à peine voilés, enjoint le Chef de l’État à obéir au président du parti (le Mpla). Le juriste qu’est Bornito de Souza a oublié que le Chef de l’État ne doit obéissance qu’à la constitution et aux lois de la République. Je rappelle ici que c’est sous le régime de l’ancienne Union soviétique que le système admettait la prédominance du parti sur le gouvernement. Selon la Constitution angolaise, la légitimité de l’exercice présidentiel émane de la souveraineté du peuple qui l’octroie à un individu par le suffrage universel. Et, le peuple est au-dessus des partis politiques. C’est cette absence dans l’analyse de certains membres du Mpla  qui crée des clivages et des tensions au sein du parti. La preuve : aujourd’hui, contre toute attente, deux groupes se sont formés au sein du Mpla : les  « eduardistes » et les « lourencistes ».

Dans les « eduardistes », on retrouve tous les vieux corrompus de la République. Ceux qui sont très attachés au système stalinien de l’ancienne Russie. Ceux qui se sont enrichis sur le dos du peuple angolais et ne veulent pas perdre leurs privilèges. Ceux qui croient qu’ils sont prédestinés à diriger le pays quelles que soient les circonstances. Ceux qui croient que l’Angola est leur bien privé. Ce sont ceux là même qui hier encore disaient : le Mpla est le peuple et le peuple est le Mpla.

Dans les « lourencistes », il y a ceux qui croient au changement et refusent le statu quo. Ceux qui croient que l’on peut faire la politique autrement. Ceux qui croient que l’homme est la finalité de la politique de Joâo Lourenço. Ceux qui veulent que les choses changent vraiment dans le pays, d’où la moralisation entamée par JLo.

La situation créée par les inconditionnels du Mpla ressemble à s’y méprendre à celle d’un barracuda géant qui essaie d’attaquer un petit maquereau dans l’aquarium d’eau de mer, mais une barrière de verre les sépare. Le gros poisson ne cesse de se frapper le nez contre la barrière invisible jusqu’au moment où il décide qu’il en a assez et qu’il vaut mieux abandonner. Ils sont nombreux ces inconditionnels  derrière l’ex-président Dos Santos, mais ils ne sont pas suffisamment intelligents pour se rendre compte qu’il est pratiquement impossible d’atteindre Joâo Lourenço parce que c’est lui que le peuple a choisi comme son président. Le peuple, c’est la barrière de verre invisible qui protège le maquereau du barracuda. Croire qu’il suffit de le destituer de la vice-présidence du parti pour qu’il freine son élan est une grosse erreur de calcul. Il a pris trop d’épaisseur en 100 jours. L’enthousiasme qu’il suscite au sein de la population le met à l’abri de toute attaque. Pourtant, comme je l’avais écrit dans ma dernière publication, Joâo Lourenço n’a encore rien fait, qui puisse constituer une véritable unanimité autour de lui. Hormis la moralisation de la société qu’il poursuit jusqu’à ce jour, les vraies réformes pour le bien-être de la population ne sont pas encore à l’ordre du jour. C’est là où se trouve la ligne rouge, car ces réformes que nous appelons de tous nos vœux vont certainement toucher des camarades du parti. Quand on observe comment les camarades du Mpla réagissent contre la demande du gouvernement de rapatrier les fonds planqués dans des banques à l’étranger, on peur s’interroger sur la capacité de Joâo Lourenço à franchir la ligne rouge. Le bicéphalisme nous cause beaucoup de torts. Deux têtes sur un corps, c’est un monstre.  

Ce bicéphalisme qu’on nous impose ne facilite pas la tâche au nouveau président. Et vous, que croyez-vous ?

Sobamasoba, l’analyse politique qui informe.

Eduardo Scotty M.      

                                                                                                                                                                                                               

 

 

             

La rétrospective qui s'impose.


« L’Angola a connu une espèce de miracle économique au sortir de la guerre. Mais le Mpla au pouvoir n’en a pas profité pour faire des réformes ni pour diversifier son économie. Il a eu tort de penser que les cours élevés du pétrole seraient éternels. La crise économique mondiale de 2008-2009 le lui a rappelé, mais rien n’a été fait pour réduire la dépendance au pétrole », a constaté l’économiste Manuel José Alves da Rocha, de l’Université catholique d’Angola. Depuis 2014, le cours du baril a baissé et le pays est entré dans une crise économique profonde que va devoir gérer Joâo Lourenço. L’Angola a besoin d’une croissance égale ou supérieure à l’augmentation annuelle de la population, qui est de 3 %. Sinon, les Angolais deviendront encore plus pauvres et la situation économique et sociale se détériorera dangereusement. »  Avec ce prix bas du pétrole devenu la norme, la croissance a été quasi nulle en 2016 et  de 1,3 % en 2017, selon le FMI. Pendant ces deux années, les chantiers se sont arrêtés et les nombreuses tours inachevées brisent le mythe de la prospérité. Des dizaines de milliers d’ouvriers chinois ont quitté le pays. L’Angola n’a plus les moyens de s’offrir leurs services, car les conditions du deal sino-angolais « infrastructures contre pétrole » ne sont plus favorables. Les salaires des fonctionnaires sont payés en retard, les administrations et les entreprises privées ont abondamment licencié… et le mécontentement populaire a beaucoup grandit. Les attentes de l’après Dos Santos sont immenses. Joao Lourenço prend les rênes d’une puissance régionale à terre malgré un PIB huit fois supérieur à celui du Mozambique. L’héritage économique laissé par José Eduardo dos Santos, qui a quitté le pouvoir, malade, à l’âge de 74 ans, mais reste à la tête du MPLA, est préoccupant. Je ne cesse de le répéter à qui veut l'entendre. La dette publique dépasse les 70 % du PIB, le déficit budgétaire pourrait dépasser les 6 % du PIB, l’inflation galopante se conjugue à des taux de change délirants du kwanza en dollar et à une pénurie de devises qui contraint la Banque centrale à puiser dans ses réserves de change, qui s’amenuisent. Les investisseurs désertent ce qui était encore, il n’y a pas si longtemps, un eldorado pour les aventuriers prêts à miser sur un environnement d’affaires toxique et corrompue. « L’Etat n’a plus les moyens de les retenir et d’en attirer d’autres, constate un analyste occidental. D’autant que, depuis fin 2015, les sociétés étrangères ont du mal à convertir en devises leurs profits en monnaie locale. Les arriérés de transferts sont considérables, entre 2 et 5 milliards de dollars bloqués à Luanda. » L’incertitude plane sur les projets de réformes économiques de Joao Lourenço, de même que sur la marge de manœuvre dont il dispose au sein du parti et vis-à-vis de son prédécesseur. « Au début, Lourenço s’est occupé à faire sa place au sein du régime et du jeu politique interne au MPLA, explique le politologue Didier Péclard, du Global Studies Institute de l’Université de Genève. Il pourrait se recroqueviller sur ce qui marche, à savoir le pétrole et le diamant. Mais sans réforme économique poussée, il y a en Angola les germes d’une crise profonde. » Militaire discret considéré comme intègre, devenu ministre de la défense en 2014 et vice-président du MPLA en 2016, Joao Lourenço devra composer avec l’ombre du clan dos Santos qui plane sur toute l’économie et qu’incarnent des cadres souvent incompétents issus du MPLA et des fidèles serviteurs du président sortant. « Plus qu’un pays riche, l’Angola est un pays de quelques riches qui ne veulent ni partager, ni travailler, et règnent sur une économie de marché avec une mentalité communiste, analyse Carlos Rosado de Carvalho, économiste et directeur du journal Expansão. Il n’y a plus d’argent et le président va être obligé d’adopter des réformes claires, de définir un budget réaliste, de dévaluer le kwanza et de tout faire pour regagner la confiance des investisseurs et rétablir la crédibilité de l’Angola sur les marchés. Lourenço n’a d’autre choix que de reprendre contact avec le FMI pour d’éventuels prêts, mais surtout pour des conseils. »

La situation telle qu'analysée par des spécialistes démontre que Joâo Lourenço a plusieurs défis à relever pour redresser le pays. Malheureusement, après son investiture le premier obstacle sur son chemin, c’est le climat au sein de son parti, le Mpla. Son intégrité pose problème à ses collègues du parti, car elle est à contre-courant des méthodes employées par son prédécesseur pour gouverner le pays. Au vu de ce qui se passe au sommet de l’État, le Mpla peut-il  rendre le pays ingouvernable?  Wait and see.  
Sobamasoba, l'analyse politique qui informe.
Eduardo Scotty M.