lundi 25 avril 2016

L'Angola dont on ne parle jamais.


Depuis plusieurs années, diverses études portant sur le développement socio-économique de l’Angola ont été réalisées par des agences des Nations unies (PNUD, UNICEF, OMS, OIT). Les résultats de ces enquêtes ont mis à nu les asymétries et injustices sociales vécues dans le pays malgré les promesses faites par les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis quarante ans. Selon ces mêmes investigations, il s'avère que c'est l’ascendance du parti au pouvoir sur les gouvernements successifs qui a conduit à une gouvernance trop sectaire /doctrinaire. Tout se décide au sein du parti, rien en dehors. Résultat : la population  est anesthésiée avec des slogans sur la lutte des classes, pendant que les dirigeants du parti s’embourgeoisent ; sur le bien-être, alors que la société se paupérise chaque jour ; sur la justice sociale, tandis que les travailleurs gagnent des salaires de misère. Des illusionnistes qui prétendaient créer une société égalitaire sans vraiment expliquer comment ils allaient faire pour y parvenir. Chaque année, oui chaque année, résignés et terrorisés à l’idée que toute contestation pouvait conduire à une mort certaine, nous voyions fondre comme neige au soleil des promesses intenables. Ils étaient face à la realpolitik. Les besoins de la population sont tellement énormes et diversifiés qu’aucune des équipes gouvernementales successives n’a jamais pu les satisfaire d’une manière ordonnée. Amateurisme,  incompétence et/ou manque de volonté politique?  
Je me pose cette question, et je ne suis certainement pas le seul à m’interroger, chaque fois qu’à l’Assemblée nationale on vote le budget national. Comme beaucoup d’autres angolais qui s’intéressent à la gestion du pays, je constate que d’importantes sommes d’argent sont attribuées à l’armée, à la police, aux différents services de sécurité et aux villes dans lesquelles le parti au pouvoir est solidement implanté, tandis que de nombreuses agglomérations, éloignées de centres urbains et situées dans des zones peu favorables au pouvoir, vivent dans une effrayante pauvreté. Les discours qui, jadis, louaient les « camponeses », ont cessé d’être d’actualité au moment du partage du gâteau. Un ami m’a dit que c’était caractéristique aux régimes dictatoriaux. Au Zimbabwe, en Guinée équatoriale ou en Gambie, c’est pareil. Conséquence : un énorme fossé se creuse entre l’arrière-pays et les villes. Dans le cas de l'Angola, c’est ce gouffre qui, à mon sens, fait apparaître le vrai visage du parti au pouvoir : un parti de citadins, de petits bourgeois et d’intellectuels. Un parti dirigé par des personnes dont le mépris pour les petites gens du monde rural est un gros trait de caractère. D’ailleurs, il est très rare de voir ces dirigeants-là, se protégeant de la pauvreté comme d’une maladie incurable et se cachant derrière les murs de leurs condominiums, s’enquérir du bien-être des paysans. N’y a-t-il pas lieu, quelquefois, de se demander ce qu'ils savent vraiment de la vie des populations de Macolo, de Luange, de Miconje ou de Camalamba ? Combien de fois, hormis la période électorale, les députés de la majorité présidentielle,  les ministres du gouvernement visitent-ils les habitants de Cameia, de Melunga, du Belize ou de Pocolo ? Ces noms vous paraissent étranges, mais ce sont des localités à l’intérieur de l’Angola.
 « Si l'on avait su qu’avec l’indépendance nous serions la proie d’une telle indifférence de la part de nos dirigeants, nous aurions choisi de continuer à vivre sous l’administration coloniale portugaise », m’a confié Manuel Miguel Tambo lors de ma dernière visite à Fungu. Après une telle complainte, et elle n'est pas la seule, force est d’admettre que la frustration se collectivise et gagne du terrain au sein de la population. Dans tous les coins reculés de l’Angola, les gens se plaignent de la manière dont ils sont traités par le parti au pouvoir. « Nous sommes victimes de la confiance que nous avons placé en ces gouvernements », disait António da Silva Neto, un fonctionnaire impayé depuis plus de 6 mois, au cours d’une réunion du syndicat des enseignants à Negage. Ces voix, même isolées, qui s’élèvent par-ci, par-là, renferment dans leur expression des germes d’un profond mécontentement. Et le fait que les médias officiels (Tpa,Rna,Jornal de Angola) ne relayent pas ces griefs, laisse penser que l’Angola profond ne représente aucun intérêt pour le parti au pouvoir  . "L’abandon dont nous faisons l’objet de la part de l’Etat est-il  une stratégie du pouvoir pour nous pousser à immigrer vers les villes ? » s’interrogeait Maria Fatima, une infirmière de Macocola dans la province d’Uíge. Une tactique très  subtile, dont la finalité serait d’emmener les populations de l’intérieur à immigrer vers les grandes villes où elles viendraient gonfler les listes électorales. Quand on sait qu’une ville comme Luanda représente, aux élections législatives,  45% des sièges à l’Assemblée nationale, on ne peut ne pas s’interroger sur les intentions inavouées du pouvoir. D’ailleurs, jusqu’à ce jour, personne dans la majorité présidentielle ne s’est offusqué de la politique de dépeuplement en cours. C’est le seul mot que j’ai trouvé pour qualifier cette politique, le dépeuplement. Sur la route qui relie Luanda au nord du pays, ou Lukala à Dundo, les villages sont vidés de leurs populations. D’autres ont complètement disparu. À leur place, rien que des cases et des maisons détruites et abandonnées.  «  Personne ne se soucie de nous. Regarde dans quel état sont nos villages. Pour avoir du savon ou du sucre, nous devons parcourir des kilomètres. Et en cette période des vaches maigres, nous nous demandons quel sera notre sort », m’a confié Paulina Senga dans le véhicule qui nous ramenait à Luanda.

Il y a beaucoup à dire au sujet de cet Angola dont on ne parle jamais. Mais aujourd’hui, j’ai choisi d’être moins prolifique. Je ne parlerai pas des dégâts causés par la sécheresse qui tue dans la province de Cunene, ni de la fièvre jaune qui décime Luanda et ses environs. 4.570 morts du 1er au 31 mars de cette année selon un rapport de l’Unita publié, exceptionnellement, par le site gouvernemental « Angonoticias ». Si  j’ajoute à cette série macabre les centaines de personnes qui meurent sans passer par les hôpitaux, nous sommes en présence d’une situation dramatique. C’est vrai que les temps sont difficiles, mais ce n’est pas une raison pour abandonner ceux qui sont vraiment dans le besoin. Imaginez-vous que sur la route de Mucaba, entre la ville de Uige et Damba, environ 270 Kms,  je n’ai vu aucune pharmacie, aucune structure médicale viable, aucune épicerie. Je vous laisse alors deviner comment survivent les populations habitant dans cette région. Cet abandon ne date pas d'aujourd'hui. Même pendant les vaches grasses la situation était pareille. Alors maintenant que les vaches sont squelettiques, je vous laisse imaginer la suite.  J’y suis allé à plusieurs fois et chaque fois j’ai vu le même spectacle désolant. Si vous y êtes allé, vous aussi, dans l’arrière- pays, et que vous n’avez pas vu ce que moi j’ai vu, dites-vous que nous ne sommes pas allés dans le même pays. C’est un immense territoire qui est abandonné par l’État et qui ne fait l'objet d'attention que lorsque s’approchent les élections. Un territoire habité par des hommes et des femmes en haillons, marchant pieds nus avec des cheveux pleins de poussière couleur d’argile, transpirant la misère. C’est un spectacle triste et difficile à raconter. Toutefois, j’ai tenu à vous en parler parce que cet abandon ressemble plus à une exclusion qu’à autre chose. Parlez-en entre vous, car contrairement à d’autres, qui sont d’origine inconnue, vous qui avez des villages en Angola vous avez intérêt à vous soucier du sort de vos vieux parents. Il faut que vous en parliez. N’oubliez pas : le silence ne sauve personne.

 

  « Soba ma soba », l’analyse politique qui informe.

Eduardo Scotty Makiese.
 

1 commentaire:

  1. "Transpirant la misère". Cette expression doit interpeller n'importe lequel d'entre nous.

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