mardi 29 décembre 2015

Le Procès des 15+2: Partie pénale.


L’année qui s’achève a été marquée par plusieurs rebondissements et événements malheureux qui ont terni l’image de notre pays et installé le doute dans les esprits quant à la crédibilité du régime en place à Luanda. De ces péripéties, j’aimerai rappeler ici  le meurtre de Cassule et Kamulingue, deux protestataires abattus par les forces de l’ordre ; l’assassinat de Ganga, membre d’un parti d’opposition tué par les éléments de la garde présidentielle (Ugp) ; les massacres des adeptes de l’Eglise de « Luz do mundo » du pasteur Kalupeteka au Mont de Sumi ; la condamnation de l’activiste Mavungu au Cabinda ; la baisse du prix du baril de pétrole ; la fermeture des entreprises, les unes après les autres, dans l’impossibilité de s’approvisionner par manque de liquidités ; l’explosion du chômage ; l’accroissement de l’insécurité dans les villes ; l’incarcération des 15 jeunes contestataires, le 20 juin 2015 et enfin l’effondrement, dans l’opinion nationale et internationale, de l’image du régime. Une image construite à coup des millions de dollars. À tout ceci, il faut ajouter la disparition, souvent inexpliquée, des citoyens lambda qui, pour un écart de langage commis dans la journée, s’évaporent dans la nature à la tombée de la nuit parce qu’ils avaient osé proférer des critiques contre le pouvoir.

Dans ce tableau noir de la vie actuelle de notre pays, aujourd’hui je vais aborder avec vous l’affaire des 15+2 « revus », membres du Mouvement révolutionnaire de jeunes à Luanda. Ils sont accusés de préparer un coup d’État.

Qui sont ces activistes accusés de vouloir déstabiliser les institutions du pays et « détrôner » le Chef de l’exécutif ? Parce que c’est de cela que le Procureur de la république les accuse, sans présomption d’innocence. Ces jeunes gens dont tout le monde parle dans le pays sont, tous, des angolais, et  à une ou deux exceptions près, ils sont nés sous le règne de l’actuel locataire de la « Cidade Alta », c’est à dire sous le régime du parti unique (1975-1992). Enfants, ils ont été, comme d’autres bambins de leur âge, de facto, membres de l’organisation des pionniers du parti et plus tard, ils ont intégré les rangs de sa jeunesse. Leurs parents ont occupé des fonctions dans le parti ou dans la fonction publique. Ce qui laisse entendre qu’ils ont grandi et étudié, jusqu’à l’Université, avec beaucoup de camarades dont les parents font partie de la Nomenklatura. Ceci est pour dire que les 15+2 ne sont pas, comme on veut nous le faire croire, le résultat d’un produit importé, mais c’est plutôt le fruit d’une substance au goût du terroir.  Ils ont grandi et vécu sous un régime politique dont ils ont su déceler les défauts et les insuffisances. C’est exactement comme dans les années 1960 quand une certaine jeunesse avait pris le chemin de Léopoldville pour revenir plus tard libérer le pays des injustices et des humiliations dont nous étions victimes. Ne dit-on pas que l’histoire se répète? Ils étaient partis, révoltés, parce que les colons portugais, en leur temps, ne répondaient à leurs exigences que par des intimidations, des arrestations, des tortures, des emprisonnements. Ces jeunes emprisonnés à Luanda sont eux aussi à la recherche des réponses à leurs questions. Malheureusement, en face d’eux, c’est la répression, la terreur. Mais face à la tempête de l’histoire…..Et si l’histoire se répétait vraiment ?

Durant trois semaines, nous avons assisté, à travers les médias, à un procès qui restera gravé dans les annales de la justice angolaise. Plus qu’une farce, c’est à une pièce de théâtre que nous avons été conviée. Tout était fait pour la condamnation des accusés. Mais aussi incroyable que cela puisse paraitre, la surdité du début a fait finalement  place à une certaine flexibilité. La pression de l’opinion a été finalement bénéfique aux « revus ». Alors pour ne pas perdre la face et sauver le peu de crédibilité qui reste, la majorité présidentielle a voté une loi qui a pris effet le 18/12/2015 et qui institutionnalise la prison à domicile. Une loi  bancale dont l’application présente beaucoup d’imperfections. Mais, que pouvons-nous faire? On fait avec...     

Que veulent exactement ces jeunes « revus » ? Rien d’extraordinaire. Juste une démocratie qui fonctionne, et un État de droit. Est-ce trop demander?   

Je ne voudrai pas entrer ici dans les détails qui ont conduit à leur arrestation et parler du livre de Gene SHARP qui est incriminé et que les envoyés du régime, en tournées spéciales  en Europe, ne cessent de qualifier de subversif. Il faut pourtant retenir une chose : quand en mars 2011 le mouvement révolutionnaire a vu le jour à Luanda, la traduction en portugais ce livre n’était pas encore publié. Donc, à mon humble avis, c’est ailleurs qu’il faut chercher les raisons qui ont poussé ces jeunes à se radicaliser vis-à-vis du pouvoir angolais. Car, qu’on le veuille ou non, moi je dirai plutôt que les printemps arabes ont beaucoup influencé l’émergence de ce groupe de jeunes. Ces printemps  sont comme une source d’inspiration pour les peuples opprimés du sud.  Si jusqu’ici la mayonnaise n’a pas pris, c’est parce dans notre pays il n’y a pas encore de conscience sociale collective pour réclamer un droit commun.

Maintenant que la partie pénale de ce procès est finie, quelle  leçon pouvons-nous tirer de cette mascarade en attendant le 11/01/2016, début de la partie politique du procès?

Devant une situation de cette nature, il y a deux options qui s’offrent à nous : le dialogue ou la violence. Dans les conditions actuelles, un dialogue est-il possible ? Sincèrement, non. Un dialogue apaisé n’est pas possible avec un pouvoir/régime dont tout laisse à croire que c’est une dictature. Et la violence ? La violence non plus n’a pas sa place dans un pays traumatisé par 27 ans de guerre. La seule voie qui nous reste est celle de la pression par des manifestions pacifiques. Mais là aussi, même si la Constitution autorise les manifestations, la réalité dans le pays est toute autre. C’est donc l’impasse. Allons-nous continuer à assister à l’arrestation des gens et à leur transfert devant les tribunaux chaque fois qu’ils penseront différemment? Et vous qui me lisez, avez-vous une idée de comment sortir de cet impasse ?                   

Le débat est ouvert.

 

Eduardo Scotty Makiese.

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