Le titre de mon article de cette semaine est
inattendu pour un blog d’analyses politiques et sociales. Je le sais parce que je
vous imagine en train de froncer les sourcils. Vous dites : parler de tempête dans un
espace réservé à des analyses politiques ?
C’est inopiné. J’en conviens, mais
rassurez-vous, je ne veux pas vous déranger avec un sujet qui ne suscite pas
votre intérêt. Bien au contraire. Si vous arrivez à lire entre les lignes, vous
ne tarderez pas à comprendre le comment du pourquoi.
Je veux aujourd’hui vous raconter
une histoire. Mon grand-père qui me l’a conté la tient de son père, mon
arrière-grand-père. C’est une histoire qui remonte au milieu du siècle dernier.
Malgré sa vieillesse apparente, le temps qui s’est écoulé n’a rien changé à son
contenu. De l’avis de nos ainés, cette histoire est encore d’actualité, et de
ce fait, conduit, inévitablement, à la réflexion.
C’est sous la véranda de sa
vieille maison, tard dans la nuit étoilée d’un samedi, que le vieux, sa pipe au
coin des lèvres, m’a confié de sa voix douce ce qui suit :
Il était une fois, m’a-t-il dit,
un voilier, amarré au port d’une ville dont j’ai oublié le nom, attendait de
lever l’ancre depuis trois jours. Le capitaine et son second étaient à la
capitainerie pour les formalités administratives avant le départ. Par malheur, la météo, ce jour-là, était très capricieuse. De gros nuages noirs obscurcissaient le ciel
et un vent fort s’était levé quand tout à coup il se mit à pleuvoir avec
violence, une vraie tempête. La mer était démontée et le voilier dont je vous
parle se balançait de gauche à droite sous la poussée d’énormes vagues. Le
mouvement d’oscillation du bateau de l’avant à l’arrière sous l’action des
vagues a fini par rompre la corde de l’ancre, briser les amarres et libérer le
voilier du quai où il était accosté solidement. En moins de temps qu’il faut
pour réagir, l’embarcation, avec son équipage à bord, avait pris le large sans
son capitaine ni son second. Il était livré à lui-même. Quand les matelots sont
sortis de leur surprise, ils s’étaient éloignés de la côte de plusieurs milles
marins. Ils ne pouvaient plus revenir au port qu’ils avaient quitté
inopinément. Devant cette situation exceptionnelle, il fallait une solution exceptionnelle.
Le bateau ne pouvait pas continuer à naviguer sans capitaine. Les matelots se
réunirent pour choisir un nouveau commandant et le choix s’arrêta sur un jeune
homme qui leur semblait apte à assumer la fonction malgré ses échecs aux postes
qu’il avait occupés précédemment. Pour tout vous dire, leur décision n’était
pas consensuelle. Le jeune homme choisi était un brave garçon, maladivement timide, peu
intelligent, maladroit, mais obéissant. Avec lui, les plus âgés des matelots
pensaient avoir sous la main quelqu’un qu’ils pouvaient facilement manipuler.
Erreur. Sans le savoir, ils venaient d’introduire un loup dans la bergerie. Pendant
qu'ils cherchaient un capitaine, le bateau continuait à naviguer au gré des vagues, sans cap. Pour y remédier, le nouveau commandant prit la barre en utilisant les cartes marines laissées par le capitaine resté au port. Grâce à ces données, une partie du
voyage s’effectua presque sans écueils. Je précise ici que le bateau dont nous
parlons était un voilier de guerre. Quatre rangées de canons ornaient les deux
flancs de l’embarcation. Ce qui laisse entendre que l’équipage n’était pas
seulement composé des matelots ; il y avait aussi des canonniers auxquels
le nouveau capitaine s'évertua à accorder, depuis sa nomination, toutes ses largesses. Dans sa tête, son dessein commençait
à prendre forme. « Ne dit-on pas
que l’appétit vient en mangeant ? » Et, pour concrétiser son projet
il nomma un canonnier au poste de second, histoire de protéger ses arrières.
Pendant cette traversée, la vie à bord n’était
pas très agréable, mais le personnel navigant n’avait pas d’autre choix. Pour éviter toute friction dans une embarcation de cette dimension, les matelots s'étaient fixés comme règle, le
respect absolu pour les canonniers que le capiston avait ralliés à sa cause pour
écarter toute possibilité de mutinerie à bord. C’est donc dans ces conditions que le
jeune capitaine timide et trouillard, sans aucune notion de commandement,
incapable de s’adresser aux marins sans au préalable rédiger un discours,
devint un homme aguerri, capable d’éliminer, même dans la violence, toute
tentative de contestation, même s'il n'avait jamais eu de la suite dans ses idées. Et dans un moment de doutes, ses
« kapangas » jetaient par-dessus bord tout individu qui pensait
différemment. Ce long voyage prit plus de 40 semaines. Mais, c’est au large du cap
de la Bonne Esperance qu’un groupe de jeunes, fatigués de supporter les injustices
et le mauvais traitement, commença à manifester son irritation vis-à-vis du chef. Ses méthodes
avaient fini par exaspérer tout le monde. Alors, malheureusement, pour
étouffer toute tentative de révolte, une dizaine de matelots furent jetés à la mer. C'était la cerise sur le gâteau. Cet
horrible acte est venu s’ajouter au mauvais climat qui régnait sur le bateau et
qui s’était déjà agité par les « malambas » de tous les jours, la
pénurie des vivres, le manque d’eau potable et la crise de commandement. C’était
une triste fin de voyage. Les esprits s’étaient échauffés parce que tous, y
compris certains artilleurs qui n’appréciaient plus les méthodes du chef. Ils
avaient la sensation qu’il n’avait pas été à la hauteur de sa tâche. Il était
donc exclu d’effectuer le voyage retour avec lui. Car disaient-ils convaincus
par l’expérience vécue: « pour
connaitre un homme, donne lui le pouvoir ».
Je ne sais pas si j’ai oublié
certains détails de cette histoire, mais je crois vous avoir raconté
l’essentiel. Et si j’ai tenu à partager avec vous le vécu de ces malheureux
matelots qui ont passé plus de 40 semaines sous le joug de cet apprenti
capitaine qui se prenait pour Dieu, c’est parce que mon grand-père me l’avait demandé. J’avais promis de
le faire, et je l’ai fait.
Vous voulez faire un
commentaire ? Ne vous en privez pas.
Le Blogueur,
Eduardo Scotty Makiese.
Adrien.
RépondreSupprimerCet article me fait penser à quelqu'un que je connais. Il ressemble beaucoup à ce capitaine mais je ne suis pas sûr que ce soit lui. En tout cas, l'histoire est très intéressante. Votre grand-père a bien fait de vous la raconter. Merci de l'avoir partager avec nous.