vendredi 18 décembre 2015

La tempête, le voilier et le capitaine.



Le titre de mon article de cette semaine est inattendu pour un blog d’analyses politiques et sociales. Je le sais parce que je vous imagine en train de froncer les sourcils. Vous dites : parler de tempête dans un espace réservé  à des analyses politiques ?  C’est inopiné. J’en conviens, mais rassurez-vous, je ne veux pas vous déranger avec un sujet qui ne suscite pas votre intérêt. Bien au contraire. Si vous arrivez à lire entre les lignes, vous ne tarderez pas à comprendre le comment du pourquoi.

Je veux aujourd’hui vous raconter une histoire. Mon grand-père qui me l’a conté la tient de son père, mon arrière-grand-père. C’est une histoire qui remonte au milieu du siècle dernier. Malgré sa vieillesse apparente, le temps qui s’est écoulé n’a rien changé à son contenu. De l’avis de nos ainés, cette histoire est encore d’actualité, et de ce fait, conduit, inévitablement, à la réflexion.

C’est sous la véranda de sa vieille maison, tard dans la nuit étoilée d’un samedi, que le vieux, sa pipe au coin des lèvres, m’a confié de sa voix douce ce qui suit :

Il était une fois, m’a-t-il dit, un voilier, amarré au port d’une ville dont j’ai oublié le nom, attendait de lever l’ancre depuis trois jours. Le capitaine et son second étaient à la capitainerie pour les formalités administratives avant le départ. Par malheur, la météo, ce jour-là,  était très capricieuse. De gros nuages noirs obscurcissaient le ciel et un vent fort s’était levé quand tout à coup il se mit à pleuvoir avec violence, une vraie tempête. La mer était démontée et le voilier dont je vous parle se balançait de gauche à droite sous la poussée d’énormes vagues. Le mouvement d’oscillation du bateau de l’avant à l’arrière sous l’action des vagues a fini par rompre la corde de l’ancre, briser les amarres et libérer le voilier du quai où il était accosté solidement. En moins de temps qu’il faut pour réagir, l’embarcation, avec son équipage à bord, avait pris le large sans son capitaine ni son second. Il était livré à lui-même. Quand les matelots sont sortis de leur surprise, ils s’étaient éloignés de la côte de plusieurs milles marins. Ils ne pouvaient plus revenir au port qu’ils avaient quitté inopinément. Devant cette situation exceptionnelle, il fallait une solution exceptionnelle. Le bateau ne pouvait pas continuer à naviguer sans capitaine. Les matelots se réunirent pour choisir un nouveau commandant et le choix s’arrêta sur un jeune homme qui leur semblait apte à assumer la fonction malgré ses échecs aux postes qu’il avait occupés précédemment. Pour tout vous dire, leur décision n’était pas consensuelle. Le jeune homme choisi était un brave garçon, maladivement timide, peu intelligent, maladroit, mais obéissant. Avec lui, les plus âgés des matelots pensaient avoir sous la main quelqu’un qu’ils pouvaient facilement manipuler. Erreur. Sans le savoir, ils venaient d’introduire un loup dans la bergerie. Pendant qu'ils cherchaient un capitaine, le bateau continuait à naviguer au gré des vagues, sans cap. Pour y remédier, le nouveau commandant prit la barre en utilisant les cartes marines laissées par le capitaine resté au port. Grâce à ces données,  une partie du voyage s’effectua presque sans écueils. Je précise ici que le bateau dont nous parlons était un voilier de guerre. Quatre rangées de canons ornaient les deux flancs de l’embarcation. Ce qui laisse entendre que l’équipage n’était pas seulement composé des matelots ; il y avait aussi des canonniers auxquels le nouveau capitaine s'évertua à accorder, depuis sa nomination, toutes ses largesses. Dans sa tête, son dessein commençait à prendre forme.  « Ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ? » Et, pour concrétiser son projet il nomma un canonnier au poste de second, histoire de protéger ses arrières.

Pendant cette traversée, la vie à bord n’était pas très agréable, mais le personnel navigant n’avait pas d’autre choix. Pour éviter toute friction dans une embarcation de cette dimension, les matelots s'étaient fixés comme règle, le respect absolu pour les canonniers que le capiston avait ralliés à sa cause pour écarter toute possibilité de mutinerie à bord. C’est donc dans ces conditions que le jeune capitaine timide et trouillard, sans aucune notion de commandement, incapable de s’adresser aux marins sans au préalable rédiger un discours, devint un homme aguerri, capable  d’éliminer, même dans la violence, toute tentative de contestation, même s'il n'avait jamais eu de la suite dans ses idées.  Et dans un moment de doutes, ses « kapangas » jetaient par-dessus bord tout individu qui pensait différemment. Ce long voyage prit plus de 40 semaines. Mais, c’est au large du cap de la Bonne Esperance qu’un groupe de jeunes, fatigués de supporter les injustices et le mauvais traitement, commença à manifester son irritation  vis-à-vis du chef. Ses méthodes avaient  fini par exaspérer  tout le monde. Alors, malheureusement, pour étouffer toute tentative de révolte, une dizaine  de matelots furent jetés à la mer. C'était la cerise sur le gâteau. Cet horrible acte est venu s’ajouter au mauvais climat qui régnait sur le bateau et qui s’était déjà agité par les « malambas » de tous les jours, la pénurie des vivres, le manque d’eau potable et la crise de commandement. C’était une triste fin de voyage. Les esprits s’étaient échauffés parce que tous, y compris certains artilleurs qui n’appréciaient plus les méthodes du chef. Ils avaient la sensation qu’il n’avait pas été à la hauteur de sa tâche. Il était donc exclu d’effectuer le voyage retour avec lui. Car disaient-ils convaincus par l’expérience vécue: « pour connaitre un homme, donne lui le pouvoir ».  
Je ne sais pas si j’ai oublié certains détails de cette histoire, mais je crois vous avoir raconté l’essentiel. Et si j’ai tenu à partager avec vous le vécu de ces malheureux matelots qui ont passé plus de 40 semaines sous le joug de cet apprenti capitaine qui se prenait pour Dieu, c’est parce que mon grand-père me l’avait demandé. J’avais promis de le faire, et je l’ai fait.

Vous voulez faire un commentaire ? Ne vous en privez pas.

 

Le Blogueur,

Eduardo Scotty Makiese.               

1 commentaire:

  1. Adrien.
    Cet article me fait penser à quelqu'un que je connais. Il ressemble beaucoup à ce capitaine mais je ne suis pas sûr que ce soit lui. En tout cas, l'histoire est très intéressante. Votre grand-père a bien fait de vous la raconter. Merci de l'avoir partager avec nous.

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